16 Jun
16Jun

  Il est à peine 17 heure et déjà la nuit a tout envahi et tente de s’immiscer dans mon esprit.

   Décembre fait crisser ses pattes contre ma fenêtre, dans le monde on a encore exhumé les tartufferies de Noël et chacun s’apprête à vomir du bon sentiment à la pelle à tarte.

  Cela m’en fait d’autant plus, des pensées à chasser.


  Bientôt 9 ans que j’ai envisagé pour la dernière fois un Noël normal, classique, pépère, un peu gentiment beauf et tranquille, en famille, accompagnant avec Adélaïde l’émerveillement de Marie et espérant la neige.

  9 ans la dernière fois que, je crois, j’ai failli être simplement, sans m’en rendre compte, sans le savoir, heureux.

  Il y avait une route devant moi il y a 9 ans. 

  Il y aura bientôt 9 ans, un matin de janvier, je n’ai pas tout de suite compris que j’avais été projeté dans une autre dimension, un autre temps, plus long, plus froid, plus épais, où rien n’allait plus jamais être comme il me semblait normal que cela était, devait être.

  A ce moment là j’étais dans le tunnel, chahuté, violemment, impossible de définir le moindre point de repère, il n’y en avait pas et j’essayais tant bien que mal avec quelque maladresse d’assurer le minimum vital.

  Respirer. Manger. Digérer.

  Je n’ai pas compris tout de suite où j’avais été amené à atterrir avec fracas.

  En y repensant, et j’y repense souvent, les indices ne manquaient pourtant pas dés l’horizon des événements.Il valait bien mieux pour moi à ce moment là que je n’en fusse pas conscient. C’est fou ce que le cerveau peut mettre en place parfois pour se protéger de l’implosion. Je pensais être resté debout, intègre et maître de mon monde !J’aurais dû voir que je ne contrôlais plus rien, éparpillé en des milliers de fragments ballotés par des vents jusqu’alors inconnus de mon univers.

  Si, déjà, j’avais l’intuition que seul quelque chose de mauvais pouvait être engendré par les événements je n’avais pas encore conscience des infamies dans lesquelles j’allais devoir surnager en solitaire.

  Et on avait tué mes boussoles.

   Au contraire, j’ai cru, peut-être espérer, qu’après avoir survécus au blast, devant les ruines que nous devions traverser, l’heure d’un hypothétique renouveau plus franc, plus solidaire, débarrassé des scories de toute vanité individualiste ridicule était sur le point d’éclore.

   Moi qui commençais à penser que c’en été enfin terminé de ce baba-coolisme naïf qui m’avait habité depuis tant d’années…

   Le surlendemain, le vendredi, j’étais au journal qui nous accueillait, les yeux gonflés comme toute la rédaction mais plein de l’énergie de la révolte.J’avais passé toute la veille au téléphone et sur le net à débattre, organiser et préparer la suite avec le copain secrétaire du syndicat, gueulé pour que l’esprit du journal et le sang des copains ne servent pas à désaltérer les ambitions médiatiques de quelques personnages politiques ou autres.

  J’avais quitté Marie et Adélaïde à la sortie de l’hôtel où la police nous avait conseillé de dormir « par sécurité » et, avant de rejoindre mon bureau sous escorte, avait même, pauvre con, osé un tendre baiser sur la bouche de celle qui était alors encore mon amour.A côté de ma voiture, son air involontairement inquiet, Marie comme absente, moi la main sur la poignée de la portière côté conducteur, je leurs avais dit au revoir, câliné ma fille et salué d’une bise Adélaïde.

   Et puis soudainement j’ai lâché la porte, fais le tour de la voiture pour les rejoindre et c’est là que j’ai touché ses lèvres avant de vite repartir.Son air étonné.

   Comme un baiser volé.

  Je ne voulais sans doute pas savoir à ce moment là que ce serait un baiser d’adieu.

  Nous avions partagé une chambre, tous les trois, réunis, en famille, et je somnolais aux côtés d’une Adélaïde assoupie sans même m’inquiéter à songer vers qui ses rêves pouvaient bien l’emporter. Je me levais régulièrement pour sortir fumer une clope, dehors, face contre le mur de l’hôtel « pour éviter que quelqu’un ne vous reconnaisse ». J’allumais à l’occasion mon téléphone pour y écouter les messages des appels qui m’avaient incité à le couper, des gens que je ne connaissais pas, pour la plupart des journalistes dont je me demandais comment ils avaient bien pu avoir mon numéro où même pour certains connaître ne serait-ce que mon existence tant habituellement mon travail semblait les laisser, au mieux, dans la plus totale indifférence.

   Il faisait noir et froid.

  L’hôtel était situé à peine à 100 mètre des premières vagues d’une Manche glaciale dont le vent sale m’apportait les embruns en rafales ponctuelles, les murs luisaient sous un pauvre réverbère qui avaient bien du mal à combattre l’obscurité.

  Le long des rues les restes de décorations de Noël pendouillaient lamentablement agités par les élément entre les vitrines commerçantes qui n’en finissaient pas de souhaiter aveuglément « une bonne année 2015 ».

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