Jusqu’à quel point on tient?
A partir de quand on se résout enfin à jeter l’éponge, à tout balancer, à tout envoyer chier ?
L’été est passé comme une vieille merde moite et odorante.
Je me suis aperçu, il était peut-être temps, qu’il n’y avait pas que l’approche de la fin d’année qui me faisait saigner les jointures à force de me battre à cogner contre les murs.
Tout se confond, se mélange, tout a été broyé, entremêlé , mixé avant de l’incruster au plus profond de moi pour mieux me dissoudre peu à peu de l’intérieur. L’attentat, la perte de Stéphane, le départ d’Adélaïde, le divorce, la maladie de Marie, le journal qui me recrache et me vomit sans explication,… tout en même temps, la même année, le même mois, entremêlé, mixé, broyé et jamais chié.
Un vrai bordel.
L’approche de l’hiver, déjà les journées plus courtes, me font déjà, encore une fois, appréhender les maux de l'anniversaire.
L’été quant à lui me rappelle, comme chaque période de vacances, combien je n’ai plus rien, ni famille, ni projets.
Isolé, seul, j’aurais pu, j’aurais dû, j’avais envisagé d’en profiter pour avancer niveau boulot sur des trucs plus personnels loin des commandes habituelles toujours en sommeil en période estivales.
Commandes en sommeil, dêche sous le soleil !
J’avais même tout préparé, couché sur papier quelques idées de bandes-dessinées , de dessins qui me faisaient marrer, des envies aussi de reprendre simplement mes aquarelles, simplement pour me faire plaisir.
Mais je n’y suis pas parvenu.
Je suis resté là, comme un con sur le banc dans ma cour à fumer les clopes que j’avais abandonneé depuis pourtant bien des mois, je me dégoûtais chaque jour un peu plus de ne pas arriver à me relever.
Encore maintenant je n’arrive pas à ne pas anniversaliser les événements tout en ayant conscience de l’absurdité totale de la chose.
Pourquoi ça me fait si mal à penser « 10 ans déjà que » et pas 4 ans, ou 8 ans, 6 mois ou autre? Il y a 10 ans je passais mes dernières vacances insouciantes avec Marie et Adélaïde, il y a 10 ans j’avais encore une famille, il ya 10 ans j’allais encore sur Paris voir les potes, il y a 10 ans je déconnais avec Stéphane, il y a 10 ans j’avais plein de projets, il y a 10 ans j’avais du courage, il y a 10 ans…
L’avocate m’a appelé fin août.
Est-ce que je viendrais à Paris mi-septembre pour le énième procès concernant l’attentat ?
Quand elle me l’a demandé, j’ai senti mon sang comme se figer et devenir un bloc dur et froid.
Non, je ne viendrai pas.
Elle m’a dit comprendre, qu’elle me représenterai tout comme d’autres qui eux aussi ne feraient pas acte de présence.
J’ai eu si peur de revivre tout ça. Se remettre dans les événements de 2015, les saloperies du premier procès de 2020, le cirque médiatique, les flics, l’hôtel froid, la paperasse inodore,…
Et j’ai repris mon quotidien insipide avec au dessus de moi l’ombre d’une sale lâcheté crasse.
J’ai zappé toute info sur le sujet, évité toute référence et repris le cycle de ces moments sans saveur qui remplissent mes journées comme une rengaine n’ayant d’autre but que de faire avancer péniblement vers le jour suivant.
Je me souviens pourtant que fin mai, pourtant, j’avais eu l’impression de retrouver un horizon qui me semblait commencer à se dégager et j’avais foncé vers lui.
J’avais repris contact avec des vieux potes, m’étais inscrit pour enfin passer le permis moto, acheté des chaussures neuves pour de grandes randos, commencé à reprendre confiance en différents projets mis en suspend.
Les potes je les ai revu une fois, les chaussures de rando sont toujours dans leur carton, les projets prennent la poussière, le permis moto s’est imposé comme incompatible avec une mémoire défaillante et je me suis retrouvé sur mon banc à fumer des clopes en écoutant ronfler mon chien.
Jusqu’à quel point on tient?