16 Jun
16Jun

  J’ai déjà entendu dire, j’ai déjà lu , souvent, « je ne sais pas quand ça a commencé… ». 

  Moi je sais.

  Précisément. 

  L’année, la date, à l’heure et à la minute prés.

  Je me souviens de ce que je pensais, de ce que j’étais en train de faire, des projets que j’avais plus ou moins dans la tête, de la façon dont je voyais les choses, le Monde, l’avenir une fraction de nanoseconde avant que tout ne bascule si brutalement dans un chaos indescriptible .

 Trois semaines auparavant , j’étais dans mon bureau, chez moi, devant l’ordinateur, rieur.Je tenais à faire partager à ma femme la vidéo très conne que l’on m’avait envoyée.

  Je lançais la vidéo, Adélaïde à mes côtés.Adélaïde resta de marbre.Elle m’annonça qu’elle avait quelque chose à me dire. Très bien, pas de soucis, en 17 ans ans de vie commune on s’est toujours tout dit. Je me mettais plus à l’aise à mon bureau, elle resta debout.Elle dit « j’ai rencontré quelqu’un », moi je dis « moi aussi, ce matin j’ai rencontré le facteur », elle me dit que ce n’était pas drôle et répéta qu’elle avait rencontré quelqu’un. Je lui dis « comment ça quelqu’un? ». Elle m’expliqua qu’elle était troublée par un homme qu’elle avait récemment rencontré au travail, qu’elle ne savait pas encore ce qu’elle vivait ni ce qu’elle envisageait mais qu’elle avait « rencontré quelqu’un ».

  Il me fallu plusieurs lentes et pénibles minutes pour assimiler l’information correctement.-« Alors qu’est-ce que tu comptes faire? »-« Je vais le retrouver ce soir, je préférais te le dire. »Tout un pan de ma forteresse venait de s’effondrer.-« Mais qu’est-ce que j’ai fait ? »-« Rien ! Ce n’est pas toi, c’est moi! »

  Lâchement, je mis l’existence de notre fille dans la balance. -« Ce sera mieux pour elle, elle est encore jeune, elle s’y fera ».Puis elle quitta le bureau pour me laisser digérer mes larmes seul.

  Quand je la retrouvais, elle était occupée à prendre une douche et s’apprêtait pour rejoindre le « quelqu’un », mon coeur, mes tripes, mes entrailles se figèrent.

  Je tentais tout pour la retenir lui épargnant seulement le chantage puéril au suicide dont je n’ai encore à l’heure actuelle jamais bien compris la pertinence.

  Ce premier soir, un jeudi précédent les vacances de Noël, j’aurais pu peut-être comprendre le message de ce premier assaut comme annonciateur d’un changement complet de temps et de dimension.A la place, je restais caché aux yeux juvéniles de Marie, isolé dans mon satané bureau pour mieux me tordre librement de douleur à même le carrelage, tordu, déformé par les images qui me venaient et qui m’informaient que désormais ses baisers , ses caresses, son regard clair, ses cheveux légers n’étaient plus pour moi. Je passais Noël seul avec Marie, « maman doit travailler ce soir, elle a des réunions ».

  Après quelques jours Adélaïde revenait, se mouvant, s’exprimant, riant comme si rien d’exceptionnel ne se passait.Elle parvint à me convaincre d’informer moi-même Marie de la situation, charge à moi de lui expliquer que, bha, c’était la vie et que j’étais content que maman soit « enfin » heureuse parce qu’elle avait trouvé un nouveau petit copain et que c’était chouette parce que, du coup, elle pourrait faire deux fois son anniversaire, deux fois plus de cadeaux, et… et toute la litanie des mensonges que l’on peut avancer parce que l’on se persuade hypocritement que ça sera plus facile pour une enfant de 9 ans de digérer la séparation de ses parents en avalant de la guimauve.

  J’ai fait ça, j’ai dit ça, pour ma fille, persuadé alors que c’était le moins pire que je puisse faire.

  Je me souviens encore de sa mère silencieuse, debout à côté de son petit lit, moi agenouillé devant Marie récitant ma leçon, retenant mes larmes en évitant ses grands yeux. 

  Paumé, torturé est un bien faible mot pour décrire comment je me sentais ces journées là.

  C’est là que, répandant ma peine aux pieds de mes deux plus proches amis, Stéphane me rappela ma promesse de venir au journal à la rentrée pour défendre le projet que je lui avais exposé une ou deux semaines plus tôt et qui l’amusait beaucoup.-« Si tu continues, tu finiras pendu dans ta fermette! » me bousculait-il.


  Je promis donc.

   Je promis.

  J’en profiterai même pour travailler un peu l’après-midi au journal , « ça te bougera un peu », et peut-être ne repartir que le lendemain après une fort probable bringue anesthésiante.

   En attendant ce jour j’étais toujours là, j’essayais d’assurer, de rassembler mes morceaux pour m’occuper de Marie, la distraire, l’amuser, la faire rire, tentant de faire taire les gémissements d’une âme dont je n’étais plus certain du propriétaire.Je me résolu à prendre rendez-vous chez le médecin. 

  Il me fallait une aide, une aide chimique, quelque chose pour ne plus chialer comme ça, pour ne plus penser, pour dormir, pour rester concentré, maître de moi , des alliés pour dresser mes émotions.-« Vendredi 02 janvier à 11h, ça vous va ? »

   Ça m’allait très bien, juste deux jours à attendre, il fallait juste que je demande à Adélaïde d’être présente ce jour-là pour garder Marie à la maison afin qu’elle n’assiste pas à mon déballage et à l’effondrement que je pressentais inéluctable dans le cabinet du médecin.

  Marie et moi passâmes le temps à peindre, jouer et dessiner, je n’assurais professionnellement que le minimum, le coeur trop loin de l’ouvrage. On se faisait des gros câlins le soir en regardant des dessins animés.Le vendredi arriva, j’attendais Adélaïde avec impatience.

  J’avais toujours l’espoir d’un changement, de l’aveu d’une erreur quand je la revoyais après qu’elle eut passé quelques jours, quelques nuits dans les bras de « quelqu’un ».

  Adélaïde arriva à midi et demi passé, je n’étais pas content et elle en colère que je ne sois pas content.

  C’est à cette époque qu’Adélaïde commença à exprimer plus d’un reproche à mon égard que, parfois, je ne comprenais pas. « Pas assez macho »… Je composais le numéro du médecin, m’excusant du lapin du matin et lui demandais un nouveau rendez-vous au plus prés ».-« Là, tout ce que je peux vous proposer au plus tôt ce serait mercredi à 10h! ».

  Ma promesse! 

  Ce mercredi là j’avais promis d’être présent au journal ! J’appelais Stéphane, lui expliquais la situation, bredouillant, plein de honte de renier ainsi ma parole pour quelque considération nombrilesque.-« Va chercher tes cachets, c’est le plus important, tu viendras lundi si tu peux. Tu vas rater l’anniversaire de Renald, veinard! » 


  Penaud, je rappelais ma toubib, confirmais le rendez vous.-« Ok alors, rendez-vous à 10h, mercredi 07 janvier 2015 à mon cabinet».


  Comment imaginer ?


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